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Interview - Paris et l'art contemporain arabe 2011
Interview - Paris et l'art contemporain arabe 2011
2011-10-01

Pouvez-vous nous parler de l’œuvre ou des œuvres que vous montrez à l’exposition ?

 Tout est question de traces.

Le dévoilement de la mémoire peut être une thérapie par le souvenir. C’est une sorte de distraction par l’art afin d’oublier la « question », la vraie et apaiser la véritable angoisse. Dans toutes ses formes, l’art est une échappatoire au tragique par le tragique. Oublier la grande noire en se plaignant plus. Toujours plus.

L’artiste qui cherche à « dire » se perd dans ses dires. Et l’image ne dira que si elle est extirpée de quelque coin de la mémoire. On a beau réfléchir, l’image ne revient pas. C’est sa trace qui répond. Le sillon qu’elle a creusé renvoie sa cicatrice. Moi, j’avais pris l’art pour une théorie. Il s’est avéré un miroir.

Mais, les cicatrices réveillent toujours les blessures. On se croit guéri, mais la démangeaison est là, persistante.

Alors, je monte les symboles et les symboles montent l’œuvre. Je suis dedans. Déçu de l’art auquel je voulais soutirer des réponses. Déçu de la peinture comme acte d’existence. Je descends par étape. De déception en déception. Le salut que j’ai longtemps cherché a disparu et je n’ai que la surface angoissante du vide comme seule image. Je rassemble des mémoires instantanées desquelles je fais resurgir d’autres plus anciennes. Je confronte les événements.

J’invente des traces. Je colle des draps. Du papier, des cartes et du tissu. De la paille et des cailloux. Du sable et de la terre. Du « tout ».

J’assemble les cicatrices du quotidien. Le mien et celui des autres.

Mon œuvre est une plainte qui accentue ma peur quand je veux être rassuré. Les oiseaux noirs, les visages inquiétants, le meuble à non usage.

Quelles sont vos « influences » artistiques ? Votre œuvre a-t-elle un lien avec la civilisation ou/et le monde arabe ?

L’universalité de l’homme est avant celle de l’art. On dira que chaque société a ses critères et ses spécificités. Cela peut être vrai si on se prive du choix. Je crois à l’extension de l’homme. Que tout homme d’ailleurs est moi ici.

J’ai passé ma jeunesse au Liban, mais mes influences artistiques sont plutôt européennes. Mes yeux ont été bercés par les saintes familles de la renaissance italienne. Les paysages des impressionnistes et les personnages torturés de Van Gogh, avant de m’affronter à la virtuosité de Picasso. La découverte de Fautrier et plus tard de Tapiès étaient la gifle qui m’a plongé dans l’univers de Kiefer.

Quels liens entretenez-vous avec la France en général, et Paris en particulier ?

La France est mon pays. Mon autre pays. Et le Liban aussi était mon autre pays et mon pays.

C’est en France que j’ai apaisé mes angoisses. Où j’ai découvert que mon nombril n’était pas unique. Où la couleur pouvait avoir un visage. Où les visages sont de toutes les couleurs.

Mon Paris m’a appris quelle force avaient les faibles et quel pouvoir avait une trace de fusain sur un papier blanc. Que l’art pouvait faire fondre nos visages comme le bronze.

Pensez-vous qu’une partie de la scène arabe contemporaine se crée en France ?

La France est notre grand miroir. Elle porte dans l’imaginaire arabe l’idéal républicain, la nation des arts et la passion des grands amours. Nous avons été bercés par la France et sûrement une partie de la scène arabe se crée en France car la France fait partie du bagage culturel de nos pays.

Considérez-vous votre démarche artistique  comme « engagée » ?

Engagé ? L’art par définition ne peut être qu’engagement. Pas forcément dans les problèmes de la société, mais sur un plan plus aigu, les problèmes de l’existence elle-même. Pourquoi je ne me suis pas noyé quand j’avais trois ans ? Mon seul souvenir c’est que l’eau avait mauvais goût. Pourquoi la balle a effleuré ma tête quand j’avais quinze ans au lieu de la pulvériser ? La seule réponse est la question même. Engagé ? Oui. Dans la question immédiate qui trainera jusqu’à ma mort. Là où le monde disparaîtra à jamais.

La question que je me pose se résume en une interrogation sur la mémoire. Est-elle soluble dans l’instant présent ? Ou bien, est-elle en opposition permanente avec d’autres mémoires parallèles ? Laquelle est plus importante ?

En quelques mots, je travaille plutôt avec beaucoup de matières que j’assemble ou je cumule, comme on cumule des instants, a priori dispersés et sûrement oubliable. « Ce qui compte, ce n'est pas l'objet, c'est de montrer que la vie de quelqu'un se loge dans un tiret », Boltanski en montrant une plaque des dates de naissance et de mort de sa mère.

Ma démarche artistique n’est engagée que par l’instant présent. L’instant qui est commun à tous et au même instant.